vendredi 8 février 2008

Le diagnostique de vulnérabilité des estives - L'exemple alpin

Pyrénées et grands prédateurs : a propos des “diagnostics de vulnérabilité” des estives - L’exemple alpin

Pour tenter de rendre compatible élevage et pastoralisme avec le retour (artificiel) des ours et celui des loups (déjà effectif et très certainement naturel), des “diagnostics de vulnérabilité” des estives, ont été effectués, sont en cours, ou prévus sur plusieurs secteurs de la chaîne pyrénéenne. Cette forme d’expertise met en œuvre la méthode des “diagnostics pastoraux”, initialement conçue pour identifier les difficultés des systèmes pastoraux afin d’améliorer la conduite des troupeaux. Elles se sont formalisées progressivement, au cours des années 90.
Lorsque les éleveurs alpins ont été confrontés au retour des loups, les méthodes d’analyses ainsi mises au point dans un autre but ont paru bien adaptées pour prendre en compte les risques nouveaux pesant sur les troupeaux, et l’impact des mesures de protection qu’il fallait alors intégrer et/ou substituer aux techniques pastorales antérieures.

En quoi consiste cette technique qui est donc née pour les Alpes et face au problème “loups” ? Le diagnostic « mis en œuvre à l’échelle d’une unité pastorale, est conçu pour les troupeaux ovins et caprins soumis à un risque de prédation /…/. Il vise à identifier les facteurs de risque d’attaque sur le système d’élevage étudié et à proposer des mesures pertinentes à prendre pour améliorer la protection du troupeau, en raisonnant leur intégration pratique au système pastoral, et leur impact sur la main-d’œuvre, le troupeau, le territoire et le multi-usage. /…./ Le diagnostic vulnérabilité, outil technique de conseil et de développement, vise ainsi à limiter les risques d’attaque ou à en limiter les effets, mais n’a pas pour prétention d’affranchir le système d’élevage du risque de prédation. » (H.Dodier, A.L. Gouty et autres, « Le diagnostic pastoral /…./ » in « Séminaire Loup-Elevage. S’ouvrir à la complexité» , CERPAM, 2007 – p. 82)

Pour qui, hors de toute polémique, s’intéresse à ces problèmes dits de « cohabitation » entre troupeaux et grands carnivores, l’ouvrage auquel j’emprunte cette citation est un outil de réflexion indispensable, on trouvera à la fin l’adresse où il peut être commandé et ses références précises (1).
Outil indispensable: en effet, la rapidité avec laquelle le loup colonise de nouvelles zones, l’intensité du problème auquel les Alpins sont confrontés (une cinquantaine d’attaques et une centaine de victimes en 94, près de 1000 attaques et de 4000 victimes en 2005 – chiffres et tableaux, p. 141), l’énorme travail de recherche accompli pour analyser scientifiquement la situation et tenter de trouver des solutions techniques, cette expérience n’est pas négligeable pour les Pyrénéens. L’ouvrage édité par le CERPAM est un bilan incontournable de l’état des problèmes, des solutions déjà mises en œuvre, de celles à prévoir, et surtout, comme l’indique son sous-titre, de l’énorme « complexité » de la situation, sur laquelle aussi ce livre se conclut puisque sa dernière phrase s’achève ainsi: « embrasser du mieux possible la réelle complexité de cette relation entre loups et élevage. » (p. 248)
Mais ne nous trompons pas, si l’expérience alpine est incontournable pour les Pyrénéens, elle n’est absolument pas transposable; et c’est là le plus complexe de cette complexité! Comme l’indique I. Mauz, sociologue au CEMAGREF: « Les réponses que l’on peut apporter aux risques de prédation ne sont pas plus définitives qu’extrapolables /…/ ce qui convient ici ne conviendra pas nécessairement ailleurs, ce qui réussit aujourd’hui ne réussira pas nécessairement demain: il n’existe pas à ce jour de modèle valable partout et toujours /…/ » (page 163). Sans donc même « extrapoler » des Alpes aux Pyrénées, au niveau simplement alpin, et pour le loup seul, c’est déjà Sysyphe tous les jours: la tâche que l’on croit accomplie, la solution que l’on croit trouvée, sont sans cesse à refaire, repenser, nulle certitude, nulle assurance, nulle tranquillité.

Si tous les articles de l’ouvrage reprennent sous des angles particuliers les problèmes auxquels les diagnostics de vulnérabilité sont censés fournir des réponses, deux d’entre eux sont uniquement consacrés à ces diagnostics: « Le diagnostic pastoral « vulnérabilité loup » sur une unité pastorale : principes et méthodes » (H. Dodier et A.L Gouty - pages 82-93), article de synthèse dont le suivant montre comment cela fonctionne sur le terrain: « Le diagnostic vulnérabilité : illustration à partir de 3 exemples » (idem + B. Lambert - pages 94-107). Par la suite, j’indiquerai simplement les pages que je résume ou auxquelles j’emprunte des citations.

Première complexité: des problèmes d’échelle, de limites, qui conduisent à autant d’expertises qu’il y a d’unités pastorales parcourues par le troupeau et de techniques de parcours (p. 84-85): estives, quartiers de demi-saison, périodes et modes de conduite, lots d’animaux etc…, ces paramètres différents créent des unités pastorales différentes dont chacune demande son propre diagnostic. Problèmes et besoins diffèrent en effet entre un petit parcours de quelques dizaine d’hectares au printemps, et une estive de mille hectares.
Mais cette expertise, interne à chaque unité pastorale, doit aussi s’élargir au territoire beaucoup plus vaste que fréquentent les prédateurs: les aménagement doivent être adaptés en effet à leur comportement, sans cela les solutions envisagées pour telle unité n’auraient pour effet que de reporter les prédations sur les unités voisines. Complexité supplémentaire: ours, loups, lynx, chiens divagants (2), selon le prédateur envisagé les éléments à prendre en compte diffèrent plus ou moins, les solutions aussi.
Conséquence au niveaux des experts : nécessité d’avoir des compétences spécifiques, pointues, complexes elles aussi. On ne s’improvise pas « expert ».
Enfin, et nous y reviendrons car c’est là, nous semble-t-il, que se situent les limites de tels diagnostics et surtout les conséquences négatives que peuvent entraîner les solutions proposées: ces solutions ne sont pas fragmentables, le diagnostic repose sur une démarche qui forme un tout indissociable « pouvant entraîner une réorganisation de l’ensemble du système pastoral en place avec des conséquences plus ou moins importantes sur le travail du berger, la conduite du troupeau, l’environnement, le multi-usage … , il est impossible de s’affranchir de cette réflexion d’ensemble que propose le diagnostic vulnérabilité » (p.95).
J’écris ces quelques mots en gras car ils sont essentiels: alors que l’on n’a plus le droit de chasser les prédateurs comme on le faisait aux époques où ceux-ci étaient encore présents dans nos massifs de façon historiquement continue (et cette impossibilité change tout bien sûr), c’est tout un ensemble en effet que leur présence bouleverse. Or, cet ensemble va bien au delà du seul diagnostic pastoral proprement dit. Il devrait conduire à prendre aussi en compte les évolutions de société entre ces époques et la nôtre, celles de la législation du travail, l’état actuel du marché des produits agricoles concernés, les politiques agricoles elles-mêmes, la taille des troupeaux devenus nécessaires (on n’est plus à la cinquantaine de brebis et deux ou trois vaches qui formaient le troupeau moyen il y a un siècle), les budgets personnels, nationaux, européens dont dépendent les mises en œuvre des solutions envisagées, la démographie aussi qui dans nos vallées est devenue ce que nous savons tous ….

Mais ce contexte général n’est pas l’objet des diagnostics en eux-mêmes. Le diagnostic de vulnérabilité est simplement un acte technique, ponctuel, il propose des solutions techniques, ponctuelles, alors que, comme toute technique, celle-ci ne peut s’affranchir du contexte global dans lequel elle se joue. Depuis une vingtaine d’années de nombreux chercheurs - sociologues, historiens notamment - ont montré comment, dans tous les domaines d’activité humaine, les techniques ne sont jamais indépendantes des conditions d’ensemble de la société ou du milieu censé les mettre en œuvre, elles ne sont pas neutres (3). Ainsi, pour rester très concret, le cadre financier. A propos du diagnostic sur l’alpage du Mont-Bertrand, dans les Alpes-Maritimes, l’article s’achève ainsi :

« Difficultés de mise en œuvre :
- le projet n’a pas été retenu par la commune à cause du coût global du projet ;
- cependant, il n’existe pas d’autres alternatives satisfaisantes pour concilier la protection du troupeau et une bonne gestion pastorale de l’alpage ;
- d’où la question de l’abandon de la montagne dans les années futures. »
(p. 102)

On le voit, établir un tel diagnostic de vulnérabilité n’est en rien une opération magique où la technique soudain viendrait gommer toutes les aspérités d’une réalité qui ne se limite pas à ce que le diagnostic permet de mesurer. Le lait en poudre pour les nourrissons peut être dans certains cas une bonne technique d’alimentation, en distribuer dans les régions d’Afrique où l’eau potable est une rareté rend non seulement stupide mais criminelle une telle technique. Elle n’est pas adaptée à la globalité de la situation.

Je serai bref sur la méthodologie de ces diagnostics, elle est détaillée aux pages 85 à 91. Elle cherche d’abord à caractériser:
- A) l’ensemble du système pastoral concerné (milieu naturel, modes de conduite du troupeau, équipements pastoraux existants, historique des pratiques, conditions de travail, raisons pour lesquelles éleveurs et/ou bergers agissent de telle ou telle façon etc …),
- B) l’ensemble des éléments qui définissent le risque, risque loup dans ce cas (analyse des attaques ayant déjà eu lieu, identification des facteurs de risque compte tenu du nombre des prédateurs, de leur comportement etc ..). Il s’agit alors, compte tenu du système analysé en A, d’identifier les éléments susceptibles de devenir des poches à risques pour les troupeaux.

Cet état des lieux effectué, on cherche ensuite à identifier les options techniques les plus adaptées, à partir desquelles, en dernière étape, un « nouveau plan de gestion pastorale raisonnée » est construit « avec le gestionnaire pastoral » (p.90).

Le diagnostic est en fait d’une grande complexité car les paramètres à prendre en compte sont très nombreux, et aucun n’est stable ni défini de façon univoque: selon le lieu, le moment, la constitution du troupeau, le temps etc… chaque élément présente en effet des visages différents. Tel micro-relief mamelonné, entrecoupé de grands blocs rocheux favorisera la dispersion des bêtes, impossible alors de les avoir sous les yeux toutes en même temps ; tel autre relief entraînera leur regroupement relatif, mais un brouillard épais y rendra tout aussi impossible la vision de l’ensemble. Ici, les bêtes passent vite, n’aiment pas se poser, là c’est l’inverse. Les facteurs de risque d’attaque seront alors différents, et peuvent être aggravés en certaines zones par des facteurs naturels : barre rocheuse pouvant entraîner un dérochement par exemple.

L’un des éléments essentiels, et sur lequel insistent les auteurs est le suivant: la nécessité d’associer à tous les stades du diagnostic, les professionnels qui exercent, dans ce lieu, leur métier : éleveurs, bergers, gestionnaires d’estives … Leur expérience, leur propre analyse du milieu, du comportement des bêtes, des pratiques qu’ils mettent en œuvre, des raisons justifiant ces pratiques, toute cette dimension à la fois humaine et technique est un élément important dans l’élaboration et du diagnostic et des solutions envisagées. Et c’est là sans doute l’aspect le plus intéressant et le plus novateur des diagnostics pastoraux, qu’il soient ou non rebaptisés « de vulnérabilité » : l’expert est d’abord l’usager. Ses savoirs, ses raisons d’agir, ses besoins, sa connaissance des bêtes et du milieu sont au centre de l’analyse du système.
Cela suffit-il pour autant à rendre satisfaisantes pour ces acteurs du milieu – des hommes et leurs troupeaux – les solutions techniques proposées par ce diagnostic? Comme la réalité qu’il mesure, la réponse est complexe.
Dans une situation imposée où
- a) les loups sont là, et leur territoire s’étend,
- b) les autorisations de tir sont données au compte goutte et non sans grandes difficultés,
- c) de nombreux facteurs rendent difficile l’analyse « à froid » de la situation: pression et poids médiatique d’associations de défense des prédateurs bien implantées au niveau même du Ministère concerné, urgence de la situation, forte charge émotionnelle pour tous les acteurs impliqués, dans un tel contexte il est bien évident que les territoires et les victimes du prédateur ne peuvent rester les bras croisés en l’attente d’un miracle qui ne viendra jamais.

C’est dans ce cadre imposé, absolument pas choisi, que le diagnostic de vulnérabilité finit, lui aussi, par s’imposer: cet aspect fondamental ne peut être oublié, on ne peut faire comme si ce diagnostic n’était que « diagnostic pastoral », un simple « truc » technique, neutre, simplement objectif. Il est certes cela, mais dans un contexte où ce qui le justifie n’est pas la recherche d’un meilleur exercice du pastoralisme à la fois pour tout ce que cette forme de production peut apporter à l’économie nationale, et pour les externalités positives qu’elle crée (entretien du milieu; espace ouvert pour des activités autres qu’agricoles, tourisme notamment, etc… En ce domaine, il est d’ailleurs souligné, p.91, la difficile articulation entre ces externalités et les mesures de protection: « le multiusage et les autres acteurs du territoire concerné : impact sur la gestion des milieux naturels, confrontation avec les activités touristiques ou de chasse … »)

La tonalité dominante de cette partition, ce qui chapeaute le processus, lui donne sa raison d’être, c’est la nécessité, imposée, non négociable, d’accepter la présence du prédateur. C’est cette obligation qui, in fine, donne ses couleurs à tout le processus et notamment aux solutions techniques envisagées. Solutions au demeurant sans cesse provisoires, toujours à repenser puisque, nous l’avons vu ce travail est celui de Sysyphe: « ce qui convient ici ne conviendra pas nécessairement ailleurs, ce qui réussit aujourd’hui ne réussira pas nécessairement demain: il n’existe pas à ce jour de modèle valable partout et toujours /…/ » (page 163).
Que, pour diverses raisons, ces solutions ne puissent être mises en œuvre, c’est alors le prédateur qui gagne et le troupeau qui perd, car on est bien hélas dans une situation à dire en terme de conflit, de vainqueur, de vaincu : « d’où la question de l’abandon de la montagne dans les années futures » pour l’alpage du Mont-Bertrand que nous avons cité.

Mais ce n’est pas tout. Et ce qui reste à voir ne se limite pas aux problèmes financiers même si ces derniers sont une clef incontournable: « La nécessité de réaliser /ce/ diagnostic sur toute unité pastorale concernée par la prédation, la complexité de sa mise en œuvre et le temps nécessaire, l’accompagnement technique indispensable à son application pratique, les aménagements parfois coûteux qui en découlent … sont autant d’éléments qui témoignent de la nécessité de moyens financiers conséquents, pour que le diagnostic puisse être pleinement et à grande échelle un outil opérationnel de conseil et de protection » (p.92)

Parce qu’il s’agit d’ «une réorganisation de l’ensemble du système pastoral en place » (p.95), « le diagnostic est une démarche globale /…/. Seuls certains conseils techniques très ponctuels peuvent être donnés sans la mise en œuvre de l’ensemble de la démarche /…/ » (p.85). Or, en l’état actuel de l’expérience accumulée par les Alpins en ce domaine, il appert clairement qu’il y a une réelle incompatibilité entre cette globalité des moyens mis en œuvre pour contrer le prédateur, et les effets logiquement attendus de l’activité pastorale sur le bétail, le milieu naturel, les conditions de travail des acteurs concernés, et ces externalités positives aujourd’hui devenues essentielles, entre autres dans la nouvelle PAC.
Sur l’Alpage de Juan (Commune de Vilars-Colmars, Alpes de Haute-Provence): « abandon du secteur 9 boisé et difficile d’accès, /…/, perte de 15 jours de pâturage pour 1250 bêtes, choix de l’éleveur de ne plus monter d’agneaux (250 tardons en moins), absence d’entretien des pelouses de crête du secteur 9, risques d’érosion sur les zones de passages répétés des animaux (secteurs 8 et 6), coût élevé de mise en œuvre, coût indirect pour l’éleveur : l’alimentation des agneaux.» (p. 96-97). En clair, pour devenir « loupo-compatible », l’alpage doit cesser d’être « troupeau-compatible » : un monde à l’envers où non seulement c’est l’activité humaine qui doit se plier aux réquisitoires du prédateur, mais où cette soumission entraîne même une dégradation du milieu au nom de la protection duquel on prétend par ailleurs indispensable d’ouvrir les portes à Maître Loup sur son rocher perché!

Situation identique dans les Pyrénées-Orientale où le diagnostic a été fait pour l’estive du Gorg Estalat, sur le massif de Madres, les loups y sont présent depuis plusieurs années déjà: « coût très élevé de mise en œuvre /je résume: 2 bergers + l’éleveur + deux patous + 4 abris de bergers à construire/, départ de certains éleveurs mettant leurs animaux en pension (chute à 700 brebis estivées avant de remonter progressivement à 700), abandon de l’entretien des landes du secteur abandonné (fermeture rapide) » (p. 106)

Si je me limite ici à une analyse des seuls articles directement consacrés aux diagnostics de vulnérabilité, ces effets négatifs ou insuffisants des mesures dites de protection se retrouvent dans de très nombreux autres :
- par exemple page 64, dans le Parc Naturel du Verdon mais c’est tout l’article qu’il faudrait recopier (« Les pratiques de protection généralement recommandées ont des répercussions négatives sur la conduite du système d’élevage, notamment la conduite de la reproduction et l’alourdissement du travail »),
- page 123 à propos des chiens de protection ( ils peuvent « être une gêne pour la bonne conduite du troupeau, en cassant le biais, ou en créant des conflits éventuels avec les chiens de conduite») et page 128 du même article (« Pour certains troupeaux où les moyens de protection sont mis en place sérieusement, la prédation ne baisse pas »),
- page 133, à propos des parcs de regroupement nocturne, il faut ici citer plus longuement, d’autant plus que , comme le souligne l’auteure, A. Dumé, « 95% des troupeaux attaqués en 2005 dans les Alpes de Haute-Provence sont gardés en permanence », on est loin de la vision que certains voudraient imposer de troupeaux à l’abandon, livrés aux griffes et aux crocs. L’impact négatif de ces parcs joue à tous les niveaux, et il est d’autant plus essentiel de le savoir qu’ils sont LA pièce centrale des stratégies proposées pour tenter de contrer les prédateurs:
- charge et temps de travail « augmentent considérablement, souvent jusqu’à la tombée de la nuit »
- impact environnemental: « piétinement excessif, érosion, voire surpâturage des parcours les plus proches. /…/ Le parcage implique parfois l’abandon de secteurs de pâturage trop éloignés ou difficilement accessibles »
- alimentation du troupeau : « le parc /…/ ne permet pas aux animaux de pâturer la nuit lors des épisodes très chauds », alors que dans les Alpes du Sud, comme dans les Pyrénées, ce pâturage nocturne est une constante et une nécessité. D’autre part, les temps de parcours entre zones de pâturage et parc de regroupement diminuent le temps passé au pâturage, l’impact sur la bonne alimentation des animaux est particulièrement marqué pour les brebis en gestation: « baisse de productivité des agneaux (plus petits à la naissance, moins de doubles) ».
- organisation du pâturage: « l’éloignement et l’accessibilité de certains secteurs ne permettent pas la mise en place de parcs de nuit. Les parcs nécessitent un espace relativement vaste et plat à proximité des cabanes ».
- état sanitaire du troupeau: « le parc pose des problèmes sanitaires lors des périodes de mauvais temps prolongé (boiteries) ou de trop grande sècheresse (problèmes pulmonaires) »

Inutile de prolonger davantage ce petit jeu de citations; redisons-le, la lecture de l’ensemble de cet ouvrage est une lecture obligée si l’on veut essayer de parler autrement que depuis un monde rêvé peuplé d’angelots voletant dans l’air pur des sommets, leur petit cul rosi par le soleil couchant!

Dans un processus qui s’apparente à une éternelle fuite en avant, les scientifiques et techniciens qui, dans les Alpes, travaillent sur les mesures de protection ne baissent pas les bras bien sûr. Page 220-227, L. Garde, écologue, responsable scientifique du CERPAM, part du constat que tous les autres articles contribuent à établir : le parc de regroupement nocturne «est la principale cause de désorganisation du système pastoral, avec des répercussions sur l’état des animaux, l’état du milieu, l’état des hommes qui le mettent en œuvre », et réfléchit à « Un projet d’action face aux limites du schéma de protection actuel ». Mais lorsqu’on sait, répétons-le, que les mesures de protection « ne sont pas plus définitives qu’extrapolables », que « ce qui convient ici ne conviendra pas nécessairement ailleurs, ce qui réussit aujourd’hui ne réussira pas nécessairement demain: il n’existe pas à ce jour de modèle valable partout et toujours /…/ », oui, c’est à un vrai travail de Sysyphe que chercheurs et praticiens de terrain sont sans cesse obligés!

Le jeu en vaut-il la chandelle? Pour des espèces animales par ailleurs nullement menacées au niveau planétaire comme européen, faut-il totalement bouleverser, voire rendre parfois impossible, ce qui a façonné nos montagnes: une biodiversité à visage humain, aux antipodes d’un ensauvagement où l’homme est envisagé comme un parasite.

A l’heure où les diagnostics de vulnérabilité s’étendent dans les Pyrénées et sont présentés comme LE moyen de la cohabitation, la question, quand même, mérite d’être posée. N’y a-t-il pas mieux à faire que, nous aussi, nous lancer sur les traces de Sysyphe alors que ces problèmes très réels que sont biodiversité et développement durable, nos montagnes y répondent ? Elles le font de façon certes peu spectaculaire, et surtout méconnue et c’est là un problème de communication qu’il faudra résoudre …
Oui, création et maintien de biodiversité, développement durable, les éleveurs alpins comme pyrénéens en sont les acteurs très méconnus (méconnus par eux-mêmes souvent tant un autre discours a réussi à imposer ses approximations y compris dans leurs propres têtes). Acteurs très anciens, ne serait-ce que par leur constance (on la considérait il y a peu encore comme un entêtement) à maintenir, sur leurs exploitations et en estive, ces races rustiques, adaptées au milieu, que tous les spécialistes, aujourd’hui, placent au centre d’un avenir qui devra s’efforcer de trouver des modes de production moins dommageables pour les milieux dits naturels.

Un simple exemple, très récent. Ce mois de juin 2007, la FAO (organisme de l’ONU en charge des problèmes d’alimentation et d’agriculture) vient de consacrer à Rome une nouvelle session à la perte, dramatique et continue depuis une cinquantaine d’années, de biodiversité dans les races domestiques et les plantes cultivées. Comme le souligne l’un des intervenants, Mme Irène Hoffmann, Chef du Service de production animale de la FAO :
« La gestion efficace de la diversité zoogénétique est essentielle pour la sécurité alimentaire mondiale, le développement durable et les moyens d’existence de millions de personnes » .Et elle ajoute: « Si elles sont parfois moins productives, de nombreuses races menacées d’extinction comportent pourtant des traits uniques, comme la résistance aux maladies ou la tolérance aux conditions climatiques extrêmes. Or, les générations futures pourraient en avoir besoin pour affronter les enjeux du changement climatique, des nouvelles maladies animales et de la demande croissante de produits de l’élevage ». (4)

Dans cette bataille à mener pour l’avenir, éleveurs alpins et pyrénéens sont au premier plan. On peut aussi, c’est vrai, préférer le loup, l’ours et l’ensauvagement qu’ils supposent. C’est un choix. Il s’appelle: choix politique. Aux Politiques donc de se déterminer.
On peut les y aider …

Bruno BESCHE-COMMENGE


Note 1 = Loup-Elevage. S’ouvrir à la complexité… Le point sur 4 années de recherche sur les systèmes d’élevage en montagnes méditerranéennes confrontés à la prédation – Actes du séminaire technique des 15 et 16 juin 2006 Aix en Provence – Mars 2007. CERPAM. (CERPAM Route de la Durance 04100 MANOSQUE. Tél. 04 92 87 47 54. Prix : 25 euros, se renseigner pour frais de port)
Organisateurs :CERPAM (Centre d’Etudes et de Réalisations pastorales Alpes-Méditerranée), Institut de l’Elevage, SIME/SUAMME (Service Interchambres d’agriculture Montagne Elevage/ service d'utilité agricole montagne méditerranéenne et élevage).

Note 2 = pour la prédation due aux chiens, voir, pages 30-40 « Les dégâts de chiens divagants : résultats d’enquêtes sur 6 territoires d’élevage », E.Brosse-Genevat et autres. Une enquête méthodologiquement irréprochable, conduite auprès de 195 éleveurs, dans trois Régions françaises, pour un total de 110 523 ovins, fournit enfin des chiffres sûrs. Ils n’ont rien à voir avec ceux, jamais justifiés, qui traînent dans les publications ou sur les sites des associations militant pour les grands prédateurs. Rien à voir non plus avec les affirmation, pas davantage justifiées, des documents officiels. Résumé, p.30: « Les taux de prédation s’établissent en moyenne à 0,25% par an, et les fréquences d’attaques à 0,10 attaque par troupeau et par an »

Note 3 = citons simplement un bilan des travaux sur ces recherches datant de 1998: Des Sciences et des Techniques : un débat – sous la direction de R. Guesnerie et F. Hartog – Paris : Ed de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales : diff. A. Colin, 1998 – (Cahier des Annales; 45)

Note 4 = voir http://www.fao.org/newsroom/fr/news/2007/1000598/index.html
et http://www.fao.org/ag/cgrfa/cgrfa11.htm, qui donne accès à l’ensemble du dossier pour cette session de la FAO
Texte publié sur le site http://www.pyrenees-pireneus.com